Un matin pas comme les autres à Dakar

Article : Un matin pas comme les autres à Dakar
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23 mai 2016

Un matin pas comme les autres à Dakar

Il faisait frisquet ce dimanche, j’étais en retard au cours. Eh oui, à l’Institut du Droit des Affaires du Groupe ISM de Dakar, les étudiants en Master 2 n’ont cours que les weekends. Ce programme permet aux étudiants de vaquer à leurs occupations professionnelles en semaine, pour mieux se concentrer sur celles académiques. Comme je vous le disais, j’étais déjà en retard au cours ce dimanche. En sortant de l’appartement je tombe sur un ami qui allait à l’église. Il m’a regardé d’un air suspect lorsque je lui dis que je n’allais pas à l’église mais en cours. Bon, cela ne me dit rien, il a le droit de me juger. Je n’ai donc pas jaugé ses murmures qui se sont émoussées dans le vent.

c'est bon pour le référencement
Parc Sacré Coeur : Edem Gbétoglo

Je ne me doutais point que cette matinée serait différente de toutes les autres que j’ai vécues ; non à cause de la journée dominicale comme c’est le cas pour tout bon chrétien qui « rate inconsciemment » l’église, mais à cause d’une rencontre que j’ai faite dans le parc de mon quartier, Sacré Cœur. J’y ai rencontré une personne très jeune, un enfant, un gosse. Il était maigrichon, pas très propre, dénué de moyens. Et pourtant, ce gamin semblait plus joyeux que moi, il dandinait dans le parc en cette matinée fraîche, il s’approchait de tout individu et demandait quelques deniers avec joie. Puis vint le moment où il s’approcha de moi et me fit une demande en wolof en tendant sa main moite, une demande que je transcrirai en français par : « Pourrais-je avoir un peu d’argent stp ? ». Pour être honnête avec vous, je n’avais pas de monnaie sur moi, mais j’avais deux baguettes de pain dans mon sac. En effet, j’avais pris l’habitude de me faire des œufs dans du pain pour mon déjeuner parce que les mets sénégalais sont parfois emplis de glutamate, et je fais attention à mon alimentation (eh oui, qui est fou ?). Pour continuer mon récit, je proposais une baguette de pain avec des œufs, de l’oignon et de la tomate au gamin. Celui-ci recula d’un pas et me lança un regard méprisant. J’ai supposé qu’il était juste gêné et j’ai donc pris la peine d’insister. Je fus donc surpris lorsqu’il me traita de « niak » qui signifiait « étranger », tout en s’en allant. Etait-ce donc un crime d’être un étranger au Pays de la Téranga, me suis-je demandé l’air perplexe ?

Cet enfant me traitait « d’étranger » parce qu’au lieu de lui donner de l’oseille, je lui offrais plutôt de la nourriture, et cela m’attrista profondément, pas pour moi mais pour lui.

Je suis niak, et pourtant je le vis bien.

Avant de proposer du pain à ce talibé, j’éprouvais de la compassion pour lui, j’étais attristé par la situation qu’il vivait ce matin et j’ai voulu l’aider à ma manière. Lorsqu’il me traita de « niak » j’aurais dû être énervé mais ce ne fut point le cas. Si être « niak », c’est offrir de la nourriture à un talibé en lieu et place de deniers, je l’accepte. Si être « niak », c’est se gaver de la viande de porc, je l’accepte. Si être « niak », c’est avoir un comportement plus respectueux, je l’accepte. Ce matin là, j’étais à la fois ébahi, furieux et perplexe. Ce n’était pas la première fois que j’étais traité « d’étranger » au Sénégal. Oui, je suis « niak », et pourtant je le vis très bien.

Aussi cette matinée m’a-t-elle permit de voir dans les yeux de ce talibé le problème social qu’est la mendicité, auquel est confronté l’Etat Sénégalais. Je vis dans les yeux de cet enfant une souffrance à laquelle il a fini par s’habituer. Quid du problème de la mendicité des talibés au Sénégal ? L’ancien Premier Ministre Abdoul Mbaye disait, « il n’est pas question d’interdire la charité, mais organisons-la ». Et l’ancien Président de la République Sénégalaise Abdoulaye Wade disait « l’aumône est une pratique recommandée par la religion ». Je pense que la mendicité des talibés pose un problème social et religieux que l’Etat doit résoudre. Les chefs religieux étant ce qu’ils sont au Sénégal, pensez-vous qu’une loi contre la mendicité forcée puisse être appliquée par les pouvoirs publics lorsque l’on a connaissance du lien étroit entre ceux-ci et ceux-là ? Suivez mon regard…

En cette matinée pas comme les autres, j’aurais donc appris trois leçons.

La première est relative à ma situation « d’étranger » au Sénégal. Quoique tu fasses, certains sénégalais te rappellent que tu es étranger par tous les moyens.

La seconde est relative au respect et à la considération d’autrui. Dans mon pays le Togo, le respect aux grandes personnes est une valeur à laquelle nul ne peut déroger. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’un sénégalais m’interpellait par un « ça va ? » direct, sans me saluer. Lorsqu’il s’agit d’une personne dans ma tranche d’âge, là encore je peux comprendre. Mais un enfant doit être respectueux, savoir aborder une tierce personne dans la rue en la saluant d’abord et j’en passe. Il s’agit ici d’un manque d’éducation et non d’instruction.

La troisième est relative à la problématique de la mendicité des talibés au Sénégal. Je me suis rendu compte en y repensant que le pouvoir religieux est plus qu’un pouvoir au Sénégal, le 5ème pouvoir peut-être. Il a une considération et une valeur intrinsèque, d’où la difficulté pour les hommes politiques de lutter contre le phénomène de la mendicité.

Bref, en une matinée, je compris un certain nombre de choses dans le vécu au Sénégal.

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Commentaires

Mawulolo
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La première et la troisième : bon c'est ok
Mais la deuxième pas tout à fait : ici moi je pense que "ça va?." est ce qui veut dire bonjour donc il n'y pas à s'offusquer. Nangadef (Naka nga def) veut dire "comment vas-tu?" donc bonjour en tant que tel n'existe pas dans la langue.
Je me souviens qu'en 92-93 au Ghana, quand on y était les Togolais se sentaient toujours insultés par les jeunes de la Volta Region qui saluait aussi directemenr en demandant "ça va?" (E fon a?).

Edem Gbétoglo
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C'est donc culturel en fait

Laurier d'ALMEIDA
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Choc culturel !

Eli
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La mendicité forcée des enfants est en effet un phénomène complexe dans ce pays. Il faut trouver le moyen de faire comprendre aux chefs religieux que les enfants malgré leur incapacité juridique ont aussi des droits à protéger. Bienvenu par ici!

Edem Gbétoglo
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Merci frère